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La résistance

Les débuts dans la résistance

Le jeune Sigmund-Marcel s’était levé ce matin-là, avec la ferme intention que ce jour soit à marquer d’une pierre sinon blanche, du moins beige clair. Il avançait donc d’un pas décidé le long de l’avenue Dumaissy, l’artère principale de Prilfischein, son village natal en passe d’être occupé par l’ennemi.
Il était vêtu d’un trench-coat couleur mastic et coiffé d’un chapeau demi-mou. Son col était relevé, dissimulant le bas de son visage, et ses poches bombées laissaient imaginer des mains crispées qu’il voulait protéger de la soudaine et relative fraîcheur de ce premier jour de septembre 1939.

Un petit vent frisquet venu du levant justifiait cette attitude. Le soleil apparaissait, faisant s’allonger son ombre derrière lui de façon démesurée, voire inquiétante.
Il avançait comme un automate, semblant glisser sur le macadam humide et froid.
« C’est pour aujourd’hui ! Je ne vais pas reculer, c’est pour aujourd’hui ! » marmonnait-il entre ses dents serrées, alors que son regard bleu acier cherchait en contre-jour, au loin, le diable qu’il avait résolu d’affronter.
Il savait qu’il n’avait plus qu’une centaine de pas à faire. Peut-être moins s’il allongeait sa foulée.
Mais non ! Ce serait témoigner de sa fébrilité. Il fallait qu’il garde cette cadence, qui lui semblait idéale pour mener à bien l’objectif qu’il s’était fixé. Il ne devait rien laisser transparaître de son émoi.
Le pas resta donc régulier, contrôlé. Les battements de son cœur s’accéléraient cependant au fur et à mesure qu’il approchait du but. Mais ça, il ne pouvait le maîtriser.
L’avenue était presque déserte à cette heure, et les quelques passants qu’il croisait paraissaient ne pas prêter attention à lui. Il s’en trouva un peu rasséréné, et eut un temps l’impression que son rythme cardiaque reprenait une cadence normale.
Il compta un moment ses pas et ses pulsations pour tenter de les synchroniser.
Il évaluait maintenant la distance restante à moins de cinquante mètres. À cette allure, il estima mentalement et rapidement qu’il lui faudrait moins d’une minute pour… mais il ne voulait pas anticiper, même de quelques secondes. Vivre le présent. L’instant présent seul devait compter.
Sa décision était irrévocable. Son acte de résistance serait à jamais inscrit en lui. Il devait négliger l’avenir, ce seul moment lui importait.
Sa main droite, machinalement, se crispa davantage dans sa poche.
Encore dix mètres… sept… il allait se retrouver devant son défi. Allait-il craquer ?… Tenir bon…
Deux mètres, sa main se raidit, il voulait empêcher son bras… Il fallait qu’il regarde sa cible, que son attention se fixe sur l’objectif. Il devait assumer. Il avança…
Il tourna résolument la tête vers la vitrine de la boulangerie, fixa des yeux les croissants dorés et chauds sur le comptoir, sa main se relâcha, laissant son porte-monnaie dans la poche. Il passa son chemin.
Il ne s’était pas arrêté, comme chaque matin, pour acheter les maudits croissants qui lui faisaient prendre du poids. Il avait résisté ! Le jeune Sigmund-Marcel venait d’accomplir son premier acte de résistance !

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